Comprendre l'exploitation du sable, ses enjeux écologiques, et les risques sur les océans

Comprendre l'exploitation du sable, ses enjeux écologiques, et les risques sur les océans

Pour répondre à une demande de plus en plus forte, les industriels extraient du sable marin par milliards de tonnes. Avec des conséquences délétères pour les fragiles écosystèmes, y compris sur les côtes françaises.

Face à la colère des milliers d'opposants à l'exploitation du sable coquillier en baie de Lannion (Côtes d’Armor), qui ont manifesté dimanche, la Compagnie armoricaine de navigation (CAN), a décidé, mardi 13 septembre, de suspendre ses prélèvements qu'elle venait tout juste de lancer. La victoire, cependant, n'est que provisoire. C'est le 4 juillet 2016, que le préfet des Côtes-d’Armor avait annoncé que le projet d’extraction en baie de Lannion allait vraisemblablement se concrétiser dès septembre.

Un camouflet pour les deux associations qui, depuis plus de cinq ans, défendent âprement le fragile écosystème littoral. Cette annonce fait suite à la décision prise en septembre 2015 par le Premier ministre Manuel Valls et le ministre de l’Économie Emmanuel Macron d’accorder pour vingt ans à la CAN une concession sur cette côte du nord de la Bretagne, afin notamment de fournir aux agriculteurs de quoi amender leurs terres pour en atténuer l’acidité. De fait, les navires aspirateurs de sable — appelés "mariessalopes" du fait de leur travail jugé "sale" — ont commencé à prélever le précieux matériau d’une dune sous-marine située à moins de dix kilomètres de la côte et à une quarantaine de mètres de profondeur. 

Problème : cette accumulation de débris de coquilles est une zone de reproduction et de naissance des jeunes poissons et d'anguilles des sables, bien connue des pêcheurs. D’où leur inquiétude : avec la mise en route du projet d’extraction, tous les organismes vivant au sein de la dune sont condamnés à être déchiquetés. Cette frayère alimente également les colonies de fous de Bassan et de macareux moines de la réserve naturelle nationale des Sept-Iles, situées à proximité.

La réforme du code minier facilitera l’exploitation

Et les dégâts seront sans doute bien plus vastes ! Car l’élinde du dragueur — son bras aspirateur géant — soulève un nuage de fines particules qui, telle une nuée atmosphérique, va dériver au gré des courants et des marées, assombrissant l’eau et se déposant sur la végétation marine alentour, avec des effets mortels. Or le site d’exploitation est situé exactement entre deux réserves naturelles protégées Natura 2000 !

La baie de Lannion n’est que le dernier théâtre d’opérations d’une exploitation française qui puise déjà, chaque année, plus de 7 millions de tonnes de sable sur les côtes. Et le gouvernement préconise d’accroître encore l’exploitation des littoraux. La réforme en cours du code minier devrait d’ailleurs la faciliter en simplifiant les procédures et en raccourcissant les délais d’obtention des titres miniers. "Le sable est omniprésent dans notre quotidien", écrit Christian Buchet, directeur du Centre d’études et de recherche de la mer, dans son Livre noir de la mer. "Il existe aujourd’hui une ruée vers le sable qui n’a rien à envier à celle de l’or."

12 millions de tonnes pour une centrale nucléaire

De fait, à l’échelle du globe, le sable est la troisième ressource la plus consommée, après l’air et l’eau : plus de 15 milliards de tonnes par an (340 millions de tonnes pour la France en 2013), soit un volume d’échanges commerciaux de 70 milliards de dollars. Ce matériau entre non seulement dans la fabrication des mortiers, verres, peintures, polymères, mastics… mais aussi dans celle des additifs alimentaires, cosmétiques, ordinateurs, puces électroniques (silicium), etc. 

Il reste cependant principalement utilisé dans le secteur du bâtiment et travaux publics (BTP), notamment pour le béton armé, composé pour deux tiers de sable. Ce matériau, mis au point à la fin du 19e siècle, est en effet très performant et peu coûteux. En France, pour les seuls besoins de la construction, il s’en consomme sept tonnes par an et par habitant.

Selon l’UNPG (Union nationale des producteurs de granulats), les sables et graviers français proviennent essentiellement de la fragmentation des roches massives, du lit des rivières, du recyclage des matériaux, du sable fossile (respectivement 199, 101, 23 et 19 millions de tonnes par an). "Mais 10 % de ces granulats proviennent désormais de la mer, précise Éric Chaumillon. Et cette part devrait encore s’accroître, car l’exploitation sur le continent devient de plus en plus contraignante : les ressources s’épuisent, les réglementations ont interdit le prélèvement du sable dans le lit des fleuves." À l’échelle du globe, pourtant, le sable semble inépuisable. Mais la plus grande partie est inexploitable, étant profondément enfouie dans les océans ou sous d’autres sédiments. 

Une plage dérobée sans que personne ne s’y oppose

Les côtes de nombreux pays sont menacées… et pas seulement pour les besoins nationaux ! L’exemple de Dubaï est emblématique. La capitale a en effet décidé, dans les années 2000, d’étendre son territoire en gagnant du terrain sur la mer, via trois presqu’îles simulant des palmiers et un archipel de 300 îles artificielles, destinées aux loisirs de la jet-set mondiale. Soit plusieurs centaines de millions de tonnes de sable. La mince couche au large des côtes du pays ayant été vite épuisée, Dubaï n’a donc pas hésité à en importer… d’Australie !

Avant que la crise mondiale de 2009 ne plonge The World dans le coma. Le maître d’œuvre a stoppé les travaux, et les îlots s’effritent peu à peu dans la mer. À mesure que la pénurie s’intensifie et que les prix grimpent, le trafic illégal s’amplifie. C’est le cas notamment en Afrique de l’Ouest, au Cambodge, en Indonésie, au Mexique ou en Inde, où la "mafia du sable" est extrêmement puissante : elle réussit à extraire illégalement chaque année près de 500 millions de tonnes des rivières et du littoral.

En Indonésie, 25 îles ont déjà disparu pour alimenter Singapour en sable. Selon Robert DeConto, de l’université du Massachusetts et David Pollard, de l’université d’État de Pennsylvanie (États-Unis), les eaux des océans devraient monter de plus d’un mètre à l’horizon 2100. Fragilisées par les actions humaines, des dizaines de milliers d’autres îles seront alors rayées de la carte. Dans l’indifférence générale ?

Source : sciencesetavenir.fr

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