À la redécouverte d'anciens cépages, trésors du passé et avenir de la viticulture

À la redécouverte d'anciens cépages, trésors du passé et avenir de la viticulture

Les deuxièmes rencontres ampélographiques de Saint-Mont (Gers) ont consacré l’importance du patrimoine génétique des vieux cépages oubliés pour créer de nouvelles variétés résistantes aux maladies et aptes à affronter les changements climatiques.

La curiosité le dispute à l’émotion. Au nez, un arôme épicé ; à l’œil une robe très noire, en bouche de forts tanins, une acidité discrète et surtout une pointe poivrée qui titille le palais. « C’est le cépage Tardif dans lequel nous plaçons beaucoup d’espoir », explique Olivier Bourdet-Pees, directeur de Plaimont-producteurs. Tardif ? Ne cherchez pas le nom de cette variété de vigne sur les étiquettes de vos vins favoris. Tardif est un cépage dit "oublié" dont on sait peu de choses, sinon qu’il n’a pas survécu à la crise du phylloxéra à la fin du 19e siècle, quand 1/3 du vignoble français disparut en 14 ans d’invasion de ce petit insecte piqueur.

Au fond du verre, quelle histoire ! Quelques pieds de Tardif ont été retrouvés dans une propriété de Sarragachies, au fin fond du Gers, 20 ares préservés par 7 générations de la famille Pédebernade. Là, les ampélographes, spécialistes de la vigne, découvrent à la fin des années 1990 une parcelle d’avant le phylloxéra préservée par un sol sableux qui a empêché l’insecte de creuser ses galeries. « On y retrouve une vingtaine de cépages différents, dont 7 totalement inconnus et les souches sont non greffées et datent pour certaines du début du XIXe siècle », s’enthousiasme Jean-Michel Boursiquot, ampélographe à l’Inra Montpellier.

Le goût des vins d'autrefois

Si ces vieux cépages étaient sélectionnés par les vignerons gascons d’autrefois, c’est qu’ils avaient des vertus de productivité mais aussi des qualités de goût. A quoi ressemblaient-ils ? La coopérative de Plaimont décide donc de cloner et élever quelques ceps afin obtenir suffisamment de grappes pour vinifier quelques bouteilles. Ce sont ces vins absents des gosiers depuis 200 ans que nous avons dégusté le 12 septembre dernier à Saint-Mont. Non sans émotions. Y figuraient également trois cépages inconnus pour l’instant baptisé du nom de Pédebernade, un Chacolis, un Morenoa bien proche de l’un de ses géniteurs, le Cabernet franc et deux autres "inconnus" retrouvés dans le piémont pyrénéen.

L’exercice n’a rien d’un retour sur le passé. Il s’agit de relever la biodiversité des variétés de vignes pour avoir à disposition un réservoir génétique qui aidera Vitis vinifera a affronter les défis du réchauffement climatique. « En 1958, les 20 principaux cépages représentaient 53% du vignoble français alors qu’aujourd’hui, ils en couvrent 87% », déplore Laurent Audeguin, à l’Institut français du vin (IFV). Ces océans de Cabernet-Sauvignon et de Merlot (les deux cépages les plus plantés au monde) occultent une biodiversité bien réelle. Le catalogue officiel français d’inscription des variétés compte plus de 300 références. «Ces dix dernières années, 68 variétés ont été inscrites au catalogue dont un bon nombre sont des réintroduction de variétés oubliées », poursuit Laurent Audeguin.

Un cépage à faible degré d'alcool

Olivier Bourdet-Pees espère que son Tardif retrouvera lui aussi le chemin du catalogue officiel. « Nous y plaçons beaucoup d’espoir pour deux raisons. Un, le Tardif arrive à maturité très tard dans l’année ce qui va nous permettre de lutter contre des dates de plus en plus précoce des vendanges qui n’arrangent pas le raisin. Deux, il est mûr à 10 degrés. En assemblage, il va nous permettre de réduire naturellement les teneurs en alcool de nos appellations ». Le cépage oublié répond ainsi à deux préoccupations très actuelles des vignerons. Avec le réchauffement climatique, on vendange de plus en plus tôt alors que la qualité d’un raisin tient beaucoup aux fraîcheurs automnales. Et l’excès de chaleur provoque un excès d’alcool. Un vin à 14 degrés est-il encore un vin ? Sans parler des questions de santé publique…

La coopérative de Plaimont a contacté les ampélographes dès les années 1990. « Avant cette sollicitation, nous fonctionnions en vase clos autour de notre collection de vignes à Vassal, avoue Jean-Michel Boursiquot. Leur demande nous a permis de venir inspecter sur le terrain des parcelles qui se sont avérées d’un intérêt scientifique important ». De cet inventaire a notamment émergé le Manseng noir. Ce cépage est issu du «mariage » du Tannat et du Negret de Banhars. Du rejeton, il ne restait qu’un seul et unique pied connu que les caves de Plaimont ont intégré au début des années 2000 à leur conservatoire des variétés rares. Le cépage s’est avéré peu sensible aux maladies. Et les "micro-vinifications" ont révélé un vin plein, très puissant, aux arômes complexes de fruits noirs et de champignons.

A la demande de Plaimont, le Manseng noir a été réinscrit au catalogue des variétés à la fin des années 2000. Des viticulteurs de la coopérative ont alors pris le risque d’en planter dix hectares. « Nous avons ainsi pu créer un assemblage à base de 70% de Merlot et 30% de Manseng noir qui rencontre depuis 2015 date de sa première commercialisation un bon succès d’estime », se félicite Olivier Bourdet-Pees. Lequel espère que le Tardif sera le prochain cépage sur la liste à retrouver le chemin de la commercialisation. Tous ont en tête le succès étonnant du Viognier. Dans les années 1960, il ne restait que 14 hectares de ce blanc des Côtes-du-Rhône. Il occupe aujourd’hui plus de 6000 hectares.

Le redécouverte des vieux cépages n’est donc pas une question de nostalgie. Ces plants d’avant le phylloxéra ont l’utilité des couteaux suisses. Ils facilitent l’adaptation au changement climatique, ils élargissent la palette des goûts du vin et ils rétablissent les vérités historiques

Source : sciencesetavenir.fr

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