Le film Instinct de Survie relance les clichés négatifs sur requins et océan, et leur portent préjudice

Le film Instinct de Survie relance les clichés négatifs sur requins et océan, et leur portent préjudice

Le film "Instinct de survie" sort sur nos écrans. Robert Calcagno, directeur de l'Institut océanographique de Monaco, nous livre ses impressions.

SA : Que pensez-vous du film « Instinct de survie » ?

Robert Calcagno : En tant que spectateur, autant le film de Spielberg était une création originale qui avait suscité la surprise et l’effroi, autant ce dernier film n’est qu’un pâle remake d’une recette qui a plus de quarante ans ! Ce sont des recettes irresponsables et éculées du cinéma hollywoodien, qui causent des dégâts importants dans l’inconscient collectif.

Quel impact une telle mise en scène peut-elle avoir pour les requins ?

Très mauvais. Le requin est souvent décrit dans les médias comme un monstre affamé de chair humaine. Ne soyons pas angéliques : le requin peut être dangereux, mais dans des proportions tellement faibles : statistiquement, les morsures de requin sont responsables de 10 morts par an ! Ce qui en fait la cause de décès la plus faible au monde. Par comparaison, les avalanches provoquent en moyenne chaque année 160 morts par an. Et cela reste 100 fois inférieur aux morts dûs aux crocodiles et 80.000 fois moins que ceux imputables aux moustiques. 

Qui de l’homme ou du requin est réellement la proie en danger ?

Aujourd’hui, le requin est une espèce gravement menacée par l’homme. On estime à près de cent millions le nombre de requins tués chaque année. Leur population aurait ainsi été éliminée à 75%, voire 90%, en seulement 50 ans ! 180 espèces de requins sont déjà considérées comme menacées. Et d’autres devraient s’ajouter à cette liste en septembre 2016. Ces pratiques menacent nos océans. Le requin est un régulateur supérieur, un alpha-prédateur, dont l’action est très importante pour les océans et la biodiversité. Il permet de réguler les populations marines, d’éliminer les malades – ce qui empêche la maladie de se transmettre aux autres individus –, etc. Si le sommet de la chaîne alimentaire - le requin - disparaît, c’est toute la pyramide qui est ébranlée.

Tous les requins sont-ils dangereux ?

Loin de là. On a identifié actuellement plus de 500 espèces de requins et il n’y en a que 5 qui sont dangereuses pour l’homme. Et surtout le grand requin blanc, le requin tigre et le requin bouledogue, ces deux derniers se trouvant à la Réunion.

Dans le film, l’héroïne Nancy préfère « se faire » une dernière vague alors que d’autres surfeurs plus avertis la préviennent que la nuit tombe et qu’il vaut mieux revenir sur la plage. Un déni du risque requin ?

C’est le problème du manque d’information, de la méconnaissance du comportement des requins. Il existe effectivement des périodes plus dangereuses que d’autres. Le requin sort ainsi à la nuit tombante pour chasser. A la Réunion, le récent programme de recherche CHARC tente de mettre en place une « météo des requins », qui permet de mesurer les risques lorsque l’on se met à l’eau dans les zones à risques, à certains moments du jour, de la saison (périodes de migration ou de reproduction), de la météo, de la turbidité des eaux, etc.

Mais même lorsque les conditions sont “bonnes”, le risque zéro ne peut être garanti au stade actuel de la connaissance des requins. La “météo requins” ne doit être envisagée que pour alerter sur un danger renforcé. Ensuite, chacun doit prendre ses responsabilités pour se protéger individuellement et collectivement.

Pourquoi le « problème requin » mobilise-t-il autant d’énergie ?

Parce qu’il s’agit d’un fait de société : le caractère inacceptable d’un humain tué par un requin est apparu notamment lors de la « crise requins » à la Réunion (depuis 2011, ce département français a subi 18 attaques et déploré 7 morts et 6 blessés). Depuis trois ans, nous travaillons et réfléchissons à la question du « vivre ensemble », question qui se pose entre humains et requins, sachant qu’il faut protéger les deux espèces.  

Quelle est la solution ?

Il n’y a pas une, mais un éventail de solutions qui, combinées, devraient améliorer la cohabitation entre les deux espèces. Elles se résument en quelques mots : information, surveillance, alerte, mesure de protection individuelle et collective. Nous avons organisé à Monaco deux ateliers en 2013 et 2014, pour réunir en un groupe de travail et d’échange des acteurs venus de toutes les zones où les requins sont potentiellement dangereux. Nous nous sommes rendus compte que chacun dans son coin était confronté au problème de la cohabitation des nageurs, surfeurs, etc. avec les requins. Et tous cherchaient, à leur échelle, une solution…

Qu’en est-il ressorti ?

Un certain nombre d’idées que nous avons réuni dans un fascicule nommé la « boîte à outils : Vivre avec les requins », qui recense de nombreuses initiatives et innovations, dont certaines sont déjà mises en place dans les endroits les plus sensibles du globe : guetteurs, vigies en plongée, filets de séparation et autres solutions individuelles ou collectives, comme les câbles électromagnétiques… Il s’agit aussi de donner toutes les informations nécessaires à ceux qui veulent surfer, plonger en dehors des zones protégées par des filets et bien surveillées. Le risque doit être pris en toute conscience. On peut comparer ces pratiques sportives au ski. Il y a ceux qui empruntent les pistes vertes ou bleues, où le risque est quasi égal à zéro et ceux qui font du hors-piste, où le risque d’être emporté par une avalanche est très fort. Le surf et la plongée sont, dans certaines régions, des activités dangereuses.

Comment voyez vous l’avenir pour les requins ?

Notre connaissance des espèces s’améliore toujours, les technologies d’éloignement progressent. Développer des méthodes qui n’ont plus recours à la mort des requins va dans le sens de l’histoire. Mais face à un risque naturel, chacun doit adapter son activité, prendre ses responsabilités. Pour revenir au film : Peter Benchley, auteur du livre dont Spielberg a tiré Les Dents de la mer, a été si effrayé par les conséquences de son œuvre  qu’il s’est consacré jusqu’à la fin de ses jours à la protection des requins ! Peut-être que Jaume Collet-Serra se rendra-t-il compte, lui aussi, du tort qu’il aura fait aux océans ? Il faut que notre prise de conscience soit maintenant rapide : le temps joue contre les requins. 

Source : sciencesetavenir.fr

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